Autant que Vigarello, Corbin et d’autres historiens de la même espèce littéraire, il est toujours plaisant et instructif de lire Robert Muchembled. Le savant compositeur de multiples ouvrages axés le plus souvent sur les temps modernes, mais couvrant parfois un spectre beaucoup plus large, pratique ce déconditionnement du regard sans lequel il ne saurait y avoir d’histoire qui vaille. Tant pis pour ceux qui aiment à projeter leur présent sur le passé, à croire que les mentalités se suivent et se ressemblent : les voilà contraints par une main ferme, d’une érudition sourcilleuse, à éprouver l’extrême variabilité des mœurs et des discours qui les organisent. L’être humain a beau conserver au fil des siècles la même physiologie : c’est un animal dénaturé, façonné par le langage et ses ambiguïtés, gestionnaire complexe et complexé de ses humeurs et de ses odeurs qu’il refoule tant bien que mal.