Qui, du pangolin, du vison, de la civette, du porc ou d’un autre animal, a servi de « passe-plat » et d’accélérateur entre le virus présent dans des animaux et l’être humain ? Les chercheurs qui tentent de retisser l’histoire du covid-19 n’ont toujours pas résolu cette énigme. « Toutes les hypothèses restent sur la table », y compris celle d’une fuite de l’institut de virologie de Wuhan (Chine), a déclaré le directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé.
Mais si l’origine du SARS-CoV2 reste encore inconnue, la pandémie de covid a une nouvelle fois révélé le lien entre destruction de la nature et santé humaine. On sait depuis belle lurette que les chauves-souris sont des réservoirs de coronavirus. On sait aussi que dans certaines conditions ces derniers peuvent se transmettre à d’autres mammifères, par exemple les mustélidés comme les visons et les furets, les viverridés comme les civettes et les genettes, les félidés comme les chats ou les lions, aux chiens viverrins, aux pangolins, aux porcs, aux bovins… Beaucoup de « coupables » possibles.
Une légère mutation facilite la transmission du virus animal à l’homme. Comment exactement et surtout dans quelle mesure certaines pratiques (marchés d’animaux sauvages, consommation de viande de brousse, élevages industriels…) ont favorisé le passage d’une espèce aux autres ? Cela reste encore à déterminer.
Des certitudes
Mais on a déjà pas mal de certitudes. Elles ont été résumées
dans un travail réalisé par vingt experts travaillant pour le panel des Nations unies pour la biodiversité, l’Ipbes
, qui ont analysé 690 documents scientifiques portant sur les liens entre la biodiversité et les pandémies. Le zoologiste Peter Daszak, président de l’association EcoHealth Alliance qui a présidé ce travail et faisait partie de la délégation de l’OMS en Chine chargée d’y voir plus clair dans les origines de la pandémie : «
Quasiment toutes les pandémies sont causées par des pathogènes qui proviennent des animaux. Ce n’est pas de la faute des animaux, ces choses existent dans la nature. Le problème naît des contacts entre l’homme et la vie sauvage. On le voit de plus en plus et on va le voir de plus en plus. Les changements environnementaux poussent les pandémies à la hausse, c’est clair comme de l’eau de roche. C’est probablement ce qui est à l’origine de la pandémie actuelle. »
Les pratiques humaines dégradent les habitats naturels, détruisent la biodiversité et causent le changement climatique. Les zones de contact entre l’homme et la nature sont à la fois multipliées et bouleversées, entraînant une exposition croissante des humains aux pathogènes d’origine animale. La globalisation quant à elle facilite l’expansion des maladies émergeant de ce mélange.
Ces mécanismes sont connus. Des scientifiques les documentent depuis des années et alertent sur les dégradations environnementales qui créent les conditions de futures pandémies. Ils ont été peu entendus jusqu’ici. Et aujourd’hui encore, on parle davantage de vaccin, de traitement et de confinement que de prévenir l’apparition de zoonoses au sein de la population humaine.
L’humanité est-elle disposée à changer des pratiques néfastes et à y consacrer suffisamment de moyens ? Pas mal d’intérêts économiques sont en cause. Récemment,
une équipe de prestigieux experts
, parmi lesquels le biologiste américain Paul Ehrlich, estimait que « l’étendue des menaces pesant sur la biosphère, dont l’homme est une des composantes, est telle qu’elle en devient difficile à appréhender, même pour les experts les mieux informés. La connaissance scientifique de ces questions est solide », disent-ils, « mais la prise de conscience est faible ». Tout le monde n’a pas encore compris (accepté
?) que la santé humaine dépend de la santé de l’environnement.
Le covid-19 qui a déjà fait 2,4 millions de morts dans le monde, selon l’université Johns Hopkins, est, après trois grippes, le sida et le Sars, la sixième pandémie sanitaire mondiale depuis la grippe espagnole qui a causé de 40 à 50 millions de morts au moins en 1918 et 1919. Toutes trois trouvent leur origine dans une nature malmenée par l’homme.
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Quel est le rapport entre les pandémies et la nature ?
Selon les scientifiques, 70 à 75 % des nouvelles maladies infectieuses humaines et presque toutes les pandémies sont des zoonoses, des maladies causées par des agents pathogènes d’origine animale (virus, bactéries…). Certaines de ces zoonoses sont connues comme la tuberculose, la varicelle, la rage, la toxoplasmose et l’échinococcose, d’autres émergentes comme le Sras, Ebola (qui vient de refaire surface en Afrique de l’Ouest), le Zika et la fièvre du Nil. Lorsqu’il s’agit d’épidémie de grande ampleur, on parle de pandémie : la peste, la grippe, le sida et désormais le covid-19.
Les principaux « réservoirs » de pathogènes sont les mammifères, en particulier les chauves-souris, les rats, les primates et certains oiseaux, surtout les oiseaux d’eau. Ces microbes se répandent à la faveur de contacts entre animaux sauvages, animaux domestiques et êtres humains. les principaux porteurs domestiques sont les porcs, les oiseaux et les camélidés.
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Comment les virus présents dans la vie sauvage se transmettent-ils à l’homme ?
En soi, la présence de virus, bactéries ou parasites dans la vie sauvage, même s’ils peuvent être à l’origine de zoonoses, n’est pas un problème grave. Ils ont co-évolué avec leurs hôtes et généralement ne se répandent pas beaucoup. Chez les animaux, les effets de ces virus sont variés : bénins ou mortels, participant parfois à la régulation de l’espèce hôte. Le danger apparaît lorsque ces microbes rentrent en contact avec l’être humain. Ces dernières décennies,
soulignent des scientifiques travaillant pour l’ONU
, ces contacts sont de plus en plus fréquents. L’homme a multiplié les interactions avec des milieux auparavant préservés. Pour Serge Morand, écologue de la santé et spécialiste des maladies infectieuses au Cirad (centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), et
auteur d’un livre paru chez Fayard
, « l’homme a créé les conditions d’émergence d’une nouvelle peste ».
Si le contact homme-virus peut se faire directement par la chasse ou le prélèvement d’animaux dans la nature pour les manger, les élever ou les vendre,
la déforestation qui ne cesse de progresser
est un des principaux facteurs indirects d’expansion des maladies émergentes. On la pratique pour couper du bois à des fins locales ou commerciales. Mais aussi pour remplacer la forêt par des cultures ou de l’élevage, pour y construire des barrages ou y creuser des mines. En ce sens, une partie de la déforestation est « importée » dans nos pays qui en profitent. Sous la pression démographique, on déforeste aussi pour étendre les villes en grignotant sur les zones sauvages. Alors que 75 % de la surface terrestre a été dégradée à travers le monde, selon la FAO, 10
millions d’hectares de forêt ont été coupés chaque année entre 2015 et 2020, principalement dans les zones intertropicales.
De quoi bouleverser de fragiles équilibres naturels et libérer certains virus. Il ne faut d’ailleurs pas un contact direct avec un animal porteur pour entraîner une contamination. La maladie peut se transmettre indirectement : un virus – surtout s’il est très sujet à mutations et à recombinaisons – peut franchir la barrière des espèces et se transmettre aux animaux d’élevage. C’est ce qui s’est passé à la fin des années 90 en Malaisie. Pour étendre des plantations de palmiers à huile, des industriels ont massivement déforesté certaines régions du pays, dérangeant ainsi des colonies de chauves-souris forestières, porteuses naturelles du virus Nipah, une fièvre hémorragique virulente affectant les humains et les porcs. Chassées, ces colonies de frugivores ont été se nourrir dans des arbres fruitiers surplombant des élevages de porcs. Facteur aggravant : le stress subi par les animaux les a rendus plus « excréteurs » de virus. Les déjections ont fait le reste, le microbe passant aux cochons puis aux ouvriers agricoles…
Ainsi, une zoonose surfe sur les élevages de bétail, cochon, volailles (poulets, canards…) ou d’animaux sauvages comme les visons. Suspectés d’avoir contribué à l’émergence du covid-19, ces derniers ont connu une expansion considérable. Près d’une espèce de vertébrés sauvages sur quatre fait désormais l’objet d’échanges commerciaux. Le commerce légal a été multiplié par cinq au cours des 14 dernières années, pour une valeur totale de 107
milliards de dollars. Et c’est sans compter le trafic illégal, extrêmement organisé et lucratif, dont la valeur se situerait entre 7 et 23 milliards par an. Les plus inquiétants restent le commerce et le trafic de mammifères et d’oiseaux, deux des principaux réservoirs de virus, rappellent les experts de l’ONU.
Beaucoup de chercheurs
s’inquiètent du rôle des élevages intensifs
: « La densité importante des animaux, leur proximité génétique et leur immunodéficience, le transport amplifient l’impact des maladies. » Pour
Serge Morand, vu l’effondrement de la biodiversité
sauvage, ce sont désormais les animaux d’élevage, en particulier les bovins, qui sont devenus les principaux vecteurs épidémiques. L’affaiblissement de la diversité génétique de nos animaux, en particulier, dans les élevages, est un facteur aggravant des épidémies, souligne Hans Bruyninckx, patron de l’Agence européenne de l’environnement. «
Pour certains animaux d’élevage comme la volaille, la diversité génétique a été réduite à zéro, ce qui nuit à la résilience du système. » Tant pour les animaux que les végétaux, les monocultures sont toujours plus fragiles que la diversité.
Si la déforestation est un des facteurs d’apparition de maladies émergentes, ces dernières favorisent parfois le déboisement en retour. Selon des chercheurs qui ont publié leurs travaux dans la revue
Perspectives in Ecology and Conservation
, les mesures de confinement prises pour lutter contre la pandémie de covid-19 ont débouché sur un accroissement de la déforestation. De nombreux gouvernements ont en effet été moins actifs dans la surveillance et la gestion des forêts. Ce relâchement a encouragé l’abattage illégal des arbres.
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Quelles sont les régions les plus à risque face aux maladies émergentes ?
Pour Morand qui a collaboré au dernier livre de la journaliste Marie-Monique Robin, La fabrique des pandémies (La Découverte), « les risques d’émergence de maladies infectieuses sont plus élevés dans les régions tropicales à déboisement rapide ». Il s’agit de zones où la biodiversité est riche, mais où elle est aussi victime de destructions à large échelle. Ce sont aussi des zones où certaines pratiques comme les élevages intensifs et la proximité entre animaux sauvages et domestiques accroissent les risques de contamination. Pour les experts, les régions les plus à risque sont l’Asie du Sud-Est, l’Amérique latine et Afrique tropicale.
Les zoonoses apparaissent et se répandent plus rapidement dans des pays où la population est en croissance rapide et exerce une pression de plus en plus forte sur la nature (via l’expansion urbaine et l’agriculture). Mais si certaines maladies restent relativement localisées, d’autres se répandent sur la quasi-totalité de la planète à la faveur de la multiplication des échanges et de leur accélération. C’est le cas du covid-19, apparu dans une zone très urbanisée et reliée au monde extérieur via le commerce et les voyages internationaux. Ainsi, si les communautés rurales sont en première ligne du covid, les grands centres urbains des pays développés, hyperconnectés et très dépendants du commerce international, sont aussi très exposés.
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Zoonoses, destruction de l’environnement, même combat ?
La pandémie du covid n’est pas une crise et les experts ne sont pas surpris. Elle révèle quelque chose de plus profond : l’effondrement de la biodiversité mondiale. Les Nations unies jugent que la destruction des habitats naturels par l’homme est considérée comme étant à la base de l’émergence des virus Hendra en Australie, Nipah en Malaisie, Ebola et Marburg en Afrique, Zika et fièvre jaune en Amérique du Sud, Dengue en Asie du Sud-Est et des coronavirus qui ont causé l’apparition du Sars, du Mers (syndrome respiratoire du Moyen-Orient) et du covid-19. Par ailleurs, de plus en plus
d’études suggèrent
qu’un affaiblissement de la biodiversité animale, résultant des destructions humaines, contribue à « concentrer » les virus dans un nombre plus réduit d’espèces hôtes, rendant ainsi plus facile la transmission d’éventuelles maladies. Une biodiversité plus riche maintient à l’inverse la pression des prédateurs sur les espèces hôtes des pathogènes et augmente le nombre d’espèces non réceptives aux microbes. C’est « l’effet de dilution ».
Plus de diversité génétique, c’est enfin plus de chances de voir apparaître des mutations faisant émerger des résistances de l’hôte au pathogène,
appuient les scientifiques du CNRS
(Centre national de la recherche scientifique). « Le déclin de la biodiversité réduit les populations d’hôtes et, ce faisant, la probabilité d’apparition des résistances. Ainsi la perte de biodiversité, diversité des espèces mais aussi diversité génétique de chacune, tend à augmenter la transmission des pathogènes et l’émergence des maladies associées. »
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Le changement climatique facilite-t-il l’apparition de pandémies ?
Le changement climatique crée des effets de synergie avec la destruction des habitats. Il fragilise les forêts, augmente le risque de feux qui détruisent le couvert végétal et laissent le champ libre pour le remplacement du couvert forestier par des parcelles agricoles pour les cultures ou l’élevage. Il affaiblit la biodiversité, provoque des déplacements d’espèces (accompagnées par leurs pathogène). En privant les animaux de leur alimentation et habitat traditionnels, il les stresse, les fragilise et les rend plus excréteurs.
Le réchauffement du climat contribue par ailleurs à déplacer les zones où certains vecteurs de maladies comme les moustiques sont en mesure de survivre et de se reproduire. C’est le cas du moustique-tigre, vecteur de virus d’origine tropicale comme la Dengue, le Chikungunya ou le Zika, désormais installé au sud de la France. Présent chez nous, le moustique n’hiverne pas encore sous nos latitudes. En revanche, on estime que le réchauffement du climat est impliqué dans l’expansion de la maladie de Lyme en Scandinavie et peut-être sous nos latitudes.
Avec la poursuite du réchauffement, ces risques pourraient augmenter à l’avenir, disent les spécialistes. Moins documenté, l’impact des changements climatiques sur la situation économique, politique et sociale de certains pays et l’accroissement des inégalités peut causer l’affaiblissement de leur système de santé, ajoute Marion Koopmans, responsable du département de viroscience au centre médical de l’université Erasmus à Rotterdam.
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Quel est le coût des pandémies et des maladies émergentes ?
Selon un
article paru dans le Lancet, en 2012
, les zoonoses causeraient chaque année un milliard de cas humains et des millions de morts. Et si le bilan humain d’une épidémie peut parfois sembler « maigre », la facture économique est bien plus grave – 9.000 personnes infectées et moins de 1.000 morts pour le SARS-CoV en 2003, mais 30 à 50 milliards de dollars de pertes estimées. « Les pandémies et autres zoonoses émergentes causent probablement des milliers de milliards de dollars de dégâts économiques chaque année », disent les chercheurs de l’Ipbes, le panel des Nations unies pour la biodiversité.
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D’autres pandémies sont-elles à craindre ?
Même après la fin de la crise du covid-19, « le risque d’émergence ne diminuera pas
», indique Marisa Peyre, épidémiologiste au Cirad. «
Le nombre de zoonoses augmente, tout comme la fréquence des transmissions interespèce à l’origine de nouvelles maladies. » Les connaissances étant imparfaites, on est encore très loin de mesurer l’ampleur du phénomène. Les scientifiques n’auraient découvert que 0,1% des virus potentiellement à risque. On estime que 1,7
million de virus inconnus circulent parmi les mammifères et les oiseaux dans la nature. Parmi ceux-ci, entre 631.000 et 827.000 pourraient infecter les êtres humains. Le covid-19 n’est d’ailleurs pas un cas isolé : chaque année, au moins cinq nouvelles zoonoses se manifestent au sein des populations humaines. Chacune d’entre elles a le potentiel de se répandre et de devenir une pandémie.
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Que faut-il faire pour limiter les risques ?
Inutile de vouloir éradiquer un animal réservoir : les virus se baladent dans toute la biodiversité et la destruction de leurs hôtes entraînerait d’autres déséquilibres très graves. Au contraire, la richesse de la biodiversité contribue à « diluer » la présence de virus et à en limiter la transmission.
La plupart des efforts actuels sont concentrés sur la production et l’administration de vaccins, la détection des cas de covid et les mesures de confinement. « On traite les symptômes sans s’intéresser aux causes sous-jacentes », regrette Peter Daszak. Que faire ? La formule est simple et reprise par tous les experts. Pour se sauver, l’homme doit préserver la nature. C’est elle qui représente sa meilleure protection contre les maladies émergentes qui peuvent dégénérer en pandémies. « On peut échapper à l’ère des pandémies qui menace
», explique Anne Larigauderie, secrétaire exécutif de l’Ipbes. «
Mais cela demande un changement majeur : passer de la réaction à la prévention. Il faut agir avant l’émergence des maladies. »
Pour les experts de l’organisation, le risque de pandémie peut être considérablement réduit en diminuant les activités humaines qui causent la perte de biodiversité, en assurant une meilleure conservation des zones protégées et en prenant des mesures qui réduisent l’exploitation insoutenable des régions riches en biodiversité. « Pour cela », poursuit Larigauderie, « il faut ralentir le rythme de déforestation, limiter le commerce d’animaux, agir sur les facteurs indirects de propagation : la consommation de viande qui entraîne la déforestation, la consommation d’huile de palme, le commerce des animaux à fourrure et des animaux vivants. »
« La disparition des forêts est une question de santé publique
», rappelle Annika Terrana, experte au WWF. «
Et leur préservation est une solution de santé publique. » Pour Marco Lambertini, le patron de l’ONG, il faut aussi encourager les pratiques qui préservent la nature et restaurent les écosystèmes : la pêche durable et l’agroécologie qui réduit voire supprime l’utilisation des pesticides et des engrais chimiques.
La communauté scientifique est unanime : travailler en amont de futures crises sanitaires en anticipant les risques d’émergence et en détectant de manière précoce ces maladies permettra de réagir le plus rapidement possible avant que les zoonoses se diffusent.
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Combien ça coûte ?
Dans la
revue
Science
, des chercheurs ont évalué
ce qu’il en coûterait de contrôler la déforestation en zone tropicale et de freiner le commerce d’espèces sauvages pouvant jouer le rôle d’hôte pour certains pathogènes dangereux : entre 22 et 33
milliards de dollars annuellement. Soit un investissement réduit par rapport au coût estimé de la crise du seul covid qui pourrait s’élever à 5.600 milliards de dollars, voire jusqu’à 11.500
milliards. «
Le coût de l’action préventive pour réduire les risques est 100 fois moins important que le coût des pandémies », dit l’ONU. « L’impact positif pour notre santé d’une préservation de la biodiversité est tellement énorme. C’est un considérable retour sur investissement », estime Daszak.
La torture en Syrie condamnée à Coblence: les leçons d’un verdict
Un premier verdict de la justice allemande contre des Syriens accusés de torture condamne un comparse à une peine de prison. La « complicité de crimes contre l’humanité » a été reconnue, c’est une première mondiale.
Par Baudouin Loos
Journaliste au service MondeCommentaire
Le verdict peut sembler clément. Quatre ans et demi de prison pour « complicité de crimes contre l’humanité ». Cinquante-quatre mois seulement ? En réalité, ce premier jugement rendu par la justice allemande ce 24 février jette les bases d’une jurisprudence importante. A Coblence, deux hommes étaient jugés, et le verdict de ce mercredi ne concerne que le second, un comparse. Il ne risquait que 5 ans et demi au maximum. L’accusé principal, lui, poursuivi pour crimes contre l’humanité pour la mort de 58 personnes et la torture de 4.000 détenus notamment, encourt la prison à perpétuité – mais le verdict ne tombera pas avant de longs mois.
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La première bonne nouvelle, c’est que le tribunal allemand a constaté le contexte de « crimes contre l’humanité » à propos des pratiques ou plutôt des abominations en cours dans les prisons du régime de Bachar el-Assad. C’est une première judiciaire mondiale dont il convient de se féliciter. Ne sont d’ailleurs ici visées qu’une partie des crimes dont on pourrait accuser ce régime, l’« Etat de barbarie » comme l’avait désigné dès les années 1980 Michel Seurat, ce chercheur français mort en otage dans une geôle d’un groupuscule au Liban. Les destructions de villes entières et les bombardements intentionnels de civils, méthodes de guerre routinières d’Assad et de sa clique, ne sont pas concernés.
« Une ampleur presque industrielle »
A Coblence, ce sont les pratiques de la torture et de la mort dans l’univers concentrationnaire syrien qui passent en jugement. Comme l’a relevé l’accusation, se trouvent sur le banc des accusés deux représentants d’un système où la torture se pratique avec « une ampleur presque industrielle ». En 2021, ce système continue, hélas ! Mais l’impunité dont il jouissait commence à s’effriter, grâce à la « compétence internationale » dont s’est prévalue la justice allemande. C’est la seconde bonne nouvelle.
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La troisième consiste à observer ce type de procès devrait se multiplier en Europe. En Allemagne encore, mais aussi en France, en Norvège, en Suède et en Autriche. Plusieurs dossiers sont en cours d’instruction dans ces pays.
Il ne s’agit nullement d’occulter les crimes des autres parties prenantes dans l’atroce conflit syrien qui aura dix ans le 15 mars prochain. Les djihadistes, les rebelles, les Kurdes et puis les alliés étrangers de tous les camps ont aussi commis des crimes dont ils devraient un jour rendre compte. Force est pourtant de constater, comme le font nombre d’organisations compétentes en matière de droits humains, que la très grande majorité des crimes de torture et d’assassinat est à imputer au régime, qui vit et survit grâce à la peur que ses méthodes monstrueuses inspirent à la population.