En Belgique, depuis le jeudi 12 mars 2020, l’ensemble des lieux culturels et artistiques ont fermé leurs portes en raison de l’expansion rapide et inquiétante du COVID-19. Les artistes et technicien.nes avec ou sans statut, de tous les domaines et de tous les arts, les intermittent.es et les employé.es, tous et toutes se retrouvent dans l’impossibilité de travailler. Une situation alarmante lorsque l’on connaît les difficultés antérieures dans ce même secteur.
Une crise profonde
La culture a besoin d’espaces de rencontres et d’échanges pour exister. Durant cette période de confinement, le secteur est donc totalement paralysé ou presque. Aucun domaine n’est épargné : cinémas, concerts, spectacles, enregistrements, tournages, expositions, centres culturels, festivals, galeries, cours… tout est à l’arrêt.
Par le biais d’enquêtes en ligne, plusieurs fédérations de professionnel.les ont déjà pu mesurer l’ampleur des pertes économiques pour les organisations et les individus. Celles-ci s’avèrent colossales. Les enquêtes ont également révélé que les pertes iront bien au-delà de la période de confinement. Les répercussions se feront sentir sur une longue période, pour ne pas dire des années.
Le report d’un maximum d’événements a été avancé comme solution par les pouvoirs publics pour faire face à la crise. Force est de constater que cette solution atteint rapidement ses limites, puisque le report implique que d’autres événements n’auront tout simplement pas lieu. En effet, les lieux culturels arriveront rapidement à saturation.
Une double peine pour la culture
Il faut rappeler que la culture était, bien avant la crise déjà, un secteur très fragilisé. Une majorité de ses travailleurs et travailleuses, artistes, technicien.nes ou employé.es, vivent sans aucune sécurité d’emploi. L’intermittence est leur quotidien. Nombre d’entre eux et elles ne peuvent prétendre au chômage économique comme c’est le cas pour d’autres secteurs en cas de crise. Cette situation rend les travailleurs et travailleuses de la culture particulièrement vulnérables et beaucoup se retrouvent aujourd’hui sans aucun revenu.
D’autres craignent d’être privé.es de leur « statut d’artiste », si difficile à obtenir. Rappelons que ce que l’on nomme « statut d’artiste » en Belgique n’est autre que l’accès aux allocations de chômage et ensuite l’obtention de la non-dégressivité de ces allocations. Les travailleurs et travailleuses du secteur doivent justifier un certain nombre de jours de travail pour obtenir ce statut ou le conserver.
Qu’adviendra-t-il de leur statut durant cette période où il est impossible de prester des jours de travail ? La situation s’avère encore plus compliquée pour tous ceux et celles qui n’ont pas encore obtenu ledit statut et ils et elles sont nombreux.ses.
À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles
La Fédération Wallonie-Bruxelles avance un fonds d’urgence de 50 millions d’euros pour venir en aide à l’ensemble des secteurs touchés par la crise qui relèvent de ses compétences. Selon nos premières estimations, cette aide sera largement insuffisante et d’autres mesures devront être prises pour éviter le bain de sang social dans la culture.
Des voix s’élèvent du côté de certains pouvoirs publics pour faire payer la crise à la population avec, par exemple, le lancement de crowdfunding. Ce type de financement relève cependant d’un mix entre optimisation fiscale pour les entreprises et une forme de charité ciblée sur quelques projets. Nous insistons sur le fait qu’il est nécessaire d’obtenir des solutions structurelles et des sources de financement pérennes tant la culture était déjà en situation précaire. Ces financements devront être portés par les épaules les plus larges de notre pays. Nous pensons aux multinationales, notamment aux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), et aux multimillionnaires.
Certains pays ont déjà pris des mesures fortes pour soutenir les travailleurs et travailleuses de la culture. En Norvège par exemple, une mesure a été prise l’année dernière déjà pour indemniser les freelances sur la base de leurs revenus. Ce type de protection pourrait également être introduit ici.
L’Allemagne, quant à elle, a dégagé un budget de 50 milliards d’euros pour venir en aide au secteur culturel. Si ce montant était ramené à la population de la Fédération Wallonie-Bruxelles ou de la Belgique, on parlerait respectivement de 2,6 ou 6,9 milliards d’euros. On est loin du compte. À ce jour, et pas seulement en termes financiers, aucune réponse concrète suffisante n’a été apportée par les pouvoirs publics aux demandes des acteurs et actrices de la culture.
Pour soutenir le secteur culturel en Belgique, nous défendons la mise en place par les pouvoirs publics de 5 mesures d’urgence :
– La création d’un système en ligne, unique et centralisé, pour que les artistes, technicien.nes et associations du secteur culturel puissent enregistrer leurs pertes financières.
– Immuniser le statut d’artiste, c’est-à-dire prendre en compte les prestations annulées pour le renouvellement et l’octroi du statut d’artiste et, de manière plus large, empêcher toutes les sanctions de l’ONEM pour les demandeurs et demandeuses d’emploi durant la crise sanitaire.
– Élargir le chômage temporaire pour force majeure à tous les travailleurs et travailleuses sans exception, en prenant en compte les spécificités liées au secteur (intermittence, contrats très courts et signés tardivement), afin que personne ne soit laissé sur le carreau.
– Mettre en place un fonds de solidarité exceptionnel pour couvrir les pertes de tous les travailleurs et travailleuses de la culture à hauteur de 100 % de leurs revenus qu’ils soient employé.es, artistes ou freelances. Nous proposons un revenu minimum supérieur au seuil de pauvreté et un plafond équivalent au salaire moyen.
– Créer une cellule d’accompagnement, de conseil et de soutien administratif et juridique pour les travailleurs et travailleuses ainsi que les petites structures du secteur culturel.
Au-delà de la crise
Enfin, les signataires de cet appel demandent que les mesures qui seront prises pour faire face à l’urgence soient pérennisées au-delà de la crise pour permettre aux travailleurs et travailleuses de la culture d’obtenir un véritable statut et une plus grande sécurité d’emploi à l’instar des travailleurs et travailleuses d’autres secteurs.
* Signataires :
#haine cherche #paix
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