Depuis deux semaines, nous respirons un air d’une autre qualité en milieu urbain. Certes, ce ne sont que quelques ingrédients du cocktail habituel qui ont disparu – les émissions résultant des trafics routier et aérien – mais leur absence révèle soudainement en creux l’anormalité du tribut que nos milieux et nos poumons leur paient généralement au quotidien.
La crise sanitaire liée au coronavirus nous invite à repenser notre relation à cette source de pollution et, partant, à formuler quelques observations.
La pollution atmosphérique est en quelques années devenue, aux yeux de nos concitoyens, un problème majeur. Tant les campagnes médiatiques portées par des associations que les procès engagés à l’encontre des pouvoirs publics ont réveillé les consciences. Et même bousculé l’interprétation du droit. Depuis, du point de vue des juridictions, la qualité de l’air n’est plus seulement l’apanage de la res publica. C’est aussi et surtout l’affaire de la population, car il en va du droit à la santé et, sans exagération, de la protection d’un droit à la vie.
Or, si des améliorations notables ont été engrangées en Europe et continuent de l’être, les politiques publiques ne sont pas encore parvenues à éliminer cette pollution qui causerait, selon les chiffres de l’Agence européenne de l’environnement, 400 000 décès prématurés chaque année en Europe.
Éliminer n’est pas le bon mot. C’est plutôt d’une mise sous contrôle dont il s’agit. Dans ce domaine qui relève parfois du casse-tête chinois, le choix de l’exposition de la population à un risque « raisonnable » plutôt qu’à un risque zéro prend souvent encore le dessus. Certes, les causes de la pollution de l’air ambiant sont aussi complexes que multiples, tant locales que lointaines. L’agriculture (c’est la saison des épandages), le transport, le chauffage (et les feux de bois), l’industrie, chacun de ces secteurs contribue à sa façon – dans le respect des normes applicables – à la formation d’un aggiornamento de polluants aux effets synergétiques, auquel s’ajoutent même quelques causes naturelles (sables, sels, pollens, etc).
Or, comme dans un jeu de mikado, la crise actuelle nous donne l’occasion unique d’observer, par écrans interposés ou en ouvrant grand nos fenêtres, ce qui se passe lorsque l’on ôte l’un des éléments. On retire le transport, quelle incidence sur l’air ambiant ? Ce retrait permet-il de mieux observer l’impact de l’agriculture, du chauffage ou de l’industrie ? Loin de nous l’idée de plaider, quand la crise sera passée, pour un maintien du confinement, pour une restriction de la liberté de circuler ou même pour la suppression des voitures. Mais il faut saisir cette occasion pour objectiver la part de l’impact du transport sur la dégradation de l’air. Fondamentalement, notre société ne prend pas encore suffisamment la mesure des dégâts causés par cette pollution. Trop souvent encore, dans les esprits, la qualité de l’air est sacrifiée sur l’autel de nos schémas de production et de consommation.
Cela fait des années que l’OMS pointe l’exposition à la pollution de l’air comme une cause d’augmentation de la mortalité, en favorisant notamment certaines maladies respiratoires (asthme chez les enfants, etc.). Or la controverse enfle quant à la question de savoir si la mauvaise qualité de l’air habituellement constatée dans une région comme la Lombardie peut ou non avoir joué un rôle dans la fragilité de certaines personnes à l’égard du fameux virus.
Enfin, alors que la neutralité climatique est devenue le leitmotiv de la mise en œuvre de l’Accord de Paris, lequel ne s’applique qu’aux gaz à effet de serre, la « neutralité atmosphérique » pour le dioxyde d’azote et les particules fines n’est pas de mise. Ces polluants ne peuvent être captés ou absorbés, à la différence du CO2. Sans réduction significative des émissions, pas de salut ! En raison de la prise de conscience collective, toutes les mesures déjà engagées devraient donc être poursuivies avec davantage de vigueur. On vise les normes applicables aux véhicules et la surveillance de celles-ci, la création de zones de basses émissions, l’accompagnement social de ces mesures, l’amélioration tous azimuts des pratiques et technologies de réduction des émissions, en ce compris dans l’agriculture et l’industrie.
Puisque nous avons goûté au plaisir d’un air pur, oserons-nous en garder l’ivresse ? Dans un monde féru d’innovation et de protection de la santé publique, cela s’avère possible. Polluer n’est pas une fatalité.
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