Chers amis du politique,
La culture, ce n’est pas apaisant, comme le disent certains. Ce n’est pas une petite série qu’on regarde le soir pour se laver la tête. La culture c’est avec ça que l’humain se pense.
C’est la force la plus puissante dont nous disposions. De très loin. La culture a défait des empires, elle en a construit autant. Elle ne représente pas 5 % du PIB de tel pays, ni 10 % de ceci, ni 50 % de cela. C’est le pilier sur lequel tout est construit, depuis que homo sapiens a apprivoisé le feu, peint Lascaux, construit les pyramides, écrit Hamlet.
La culture, ce n’est pas simplement la somme des arts majeurs : sculpture + peinture + musique, etc. La culture, ce n’est pas non plus ce truc avec des stars riches et des intermittents pauvres. C’est nous tous. Tout le monde y a recours tous les jours de sa vie, sous peine de mort. La façon dont nous pensons à quelqu’un, c’est de la culture. La façon dont nous parlons : culture. Rêvons : culture. Cuisinons, réfléchissons, inventons, transmettons, aimons.
Chers amis du politique, nous avons besoin de culture, urgemment.
La culture, c’est 7,7 milliards de gens
Cela fait deux mois qu’une Task Force devrait plancher sur comment nous en apporter par tous les moyens, au-delà des écrans-sauveurs dont on s’est tous gavés faute de mieux. Pas parce que 5 % de ceci, ni parce que 10 % de cela. Parce que nous sommes tous en stand-by, sans récit, sans retour sur tout ce qui est en train de se passer. Nous sommes en apnée. Sans oxygène, soit on crève, soit on plonge dans un coma irréversible. On en ressort en vie mais sans plus savoir qui on est, qui on aime, ce qu’on espère, ce qu’on vénère, ni pour qui voter.
Vous vous concertez, vous trouvez des aides. Très bien. La culture n’est pas rassasiée. En la sous-estimant, vous en renforcez la puissance. Elle peut être un ouragan, ou une lame de fond. Pour mieux nous dire qui nous sommes, elle questionne, elle fait mal, elle fait douter. Encore et encore. Elle est critique, surpuissante, souveraine : c’est l’ensemble des volontés de 7,7 milliards de gens. L’ensemble de leurs inconscients.
Un besoin de sens
Parfois aussi elle console, elle indique, elle met en chantier. Elle dit le passé, et surtout elle voit l’avenir.
Ce vendredi 13 mars, on nous a coupés brutalement d’elle pour nous sauver la vie. Bien. Aujourd’hui l’urgence est extrême. Car l’histoire est connue : une société sans culture sombre immédiatement dans l’immobilisme, l’asphyxie, la perte de repères, la dépression, le repli, la paranoïa, la confusion mentale et le chaos.
Le confinement n’a fait qu’accentuer nos doutes en tant que société. Aujourd’hui plus que jamais nous avons besoin de sens. Racontez-nous. Aidez-nous. Après la Première Guerre mondiale, Paul Valéry a écrit : Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Evitons peut-être de lui donner trop rapidement raison ?
N’affamez pas la culture. Elle a construit des empires, mais elle en a détruit autant.
Elle est capable d’éclairer le passé. Mais surtout, elle nous raconte l’avenir.
Chers amis du politique, bonne journée.
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