Actuellement, plus de 100.000 étudiants passent leurs examens universitaires exclusivement en ligne. Malgré nos efforts titanesques, cette session organisée à distance connaît d’inévitables ratés, dont la presse s’est fait l’écho. En outre, ne soyons pas dupes : même quand apparemment « tout fonctionne », l’évaluation en ligne ne peut être considérée comme un succès. Elle est pour nous tous une source de stress et d’épuisement. Pour les étudiants, les examens en ligne sont source de criantes inégalités. L’égalité technologique est loin d’être atteinte chez les jeunes de la Fédération Wallonie-Bruxelles – sans parler des étudiants étrangers –, malgré les efforts fournis en urgence par les universités. De plus, l’évaluation en ligne condamne les étudiants à l’isolement. Chacun se retrouve seul face à son examen, après un confinement qui a marqué la fermeture des campus et la fin de toute vie collective universitaire. Aujourd’hui, le déconfinement gagne peu à peu tous les secteurs de la société belge. Mais aucune réouverture n’est annoncée pour nos universités…
Seule la nécessité fait loi
Le 8 avril 2020, nous apprenons par la presse le basculement en ligne de la fin de l’année académique. Le 24 avril 2020, la Ministre consacre officiellement cette décision. Ce basculement se justifiait par une situation sanitaire dramatique. Nécessité fait loi. En conséquence, nous, personnel enseignant, scientifique, administratif et étudiants, nous nous sommes adaptés à de nouveaux outils technologiques. Nous avons réinventé notre métier et repensé nos pratiques dans l’urgence, de manière forcément insatisfaisante. Nous avons accepté la brisure pédagogique entre les examens de janvier (en présentiel) et les examens de mai-juin (en ligne). Nous avons fait face à des problèmes d’une complexité inouïe. Nous avons vécu des situations de détresse inédites. Nous avons fait tout cela depuis chez nous, entourés de nos familles ou de nos solitudes, en affrontant souvent la maladie et parfois la perte de proches. Aujourd’hui, grâce à l’amélioration de la situation sanitaire, tous les secteurs sont en voie de déconfinement : les entreprises, les magasins, les écoles, les musées, les bibliothèques… Cet été, même les plages, les camps scouts, les activités culturelles et sportives avec public et l’Horeca auront réouvert. Quelles données objectives empêchent les universités de rouvrir leurs portes dans trois mois ? Rien ne justifie que le coût endossé par la communauté universitaire continue de lui être imposé sans nécessité.
Où est la gouvernance ?
Après avoir exigé de nous le maximum, du côté de nos responsables, c’est le silence ou la cacophonie. La Ministre se tait dans toutes les langues après nous avoir imposé un calendrier éreintant. Les deux agences dédiées aux universités (ARES et AEQES) n’ont ni fourni de soutien aux établissements, ni développé d’outils communs aux universités francophones. Les établissements reprennent le jeu classique de la concurrence entre universités, un jeu qui laisse toute la communauté universitaire perdante. Désormais, chaque recteur y va de sa sortie médiatique. Nous valons mieux qu’une politique menée à coup de communiqués qui ne témoignent pas des réalités dramatiques que nous vivons. Les autorités se défendent d’utiliser la Covid-19 comme prétexte pour imposer un passage en force de nos universités dans l’e-learning qui leur permettrait de réaliser d’importantes économies d’échelle en personnel et auditoires. Il existe une seule manière de nous en convaincre : nous laisser rentrer dans nos universités !
La Covid-19 tape où cela fait mal
Faire plus avec moins, tel est notre quotidien depuis de nombreuses années. Pour faire face à la Covid-19, on nous a demandé l’impossible. La population étudiante a crû de 25 % dans les universités francophones ces dix dernières années mais les établissements n’ont pas reçu les moyens permettant d’y faire face. En Fédération Wallonie-Bruxelles, le nombre d’étudiants par professeur est l’un des plus élevés de l’Union européenne. Le financement public d’un étudiant universitaire est inférieur à celui d’un étudiant du secondaire. Depuis le régime du Décret dit « paysage » du 7 novembre 2013, nos conditions de travail se sont considérablement dégradées : complexité administrative, incohérences pédagogiques, bureaucratisation… Les étudiants sont les premières victimes de cette dégradation. Ce décret nous a placés au bord du gouffre. Le passage forcé à un enseignement à distance nous a poussés dans le vide.
Sortir de la crise par le haut
Il est donc urgent que la Ministre Glatigny et les parlementaires de la Fédération Wallonie-Bruxelles prennent la mesure de la situation. Il nous est tout simplement impossible de continuer nos missions dans ces conditions. Pour sortir de cette crise par le haut et non par une fuite en avant digitale, nous demandons :
– La réouverture de nos universités et un retour à la normale pour la session d’été et la rentrée 2020-2021. La règle doit redevenir l’enseignement en présentiel. La décision de nous imposer à nouveau les évaluations et les cours à distance ne se justifierait que si, d’ici à la rentrée, les chiffres de la situation sanitaire redevenaient à nouveau alarmants
– Une évaluation rigoureuse du décret de 2013 et une réforme en profondeur de notre secteur en association avec l’ensemble de la communauté universitaire.
*Cosignataires : Eléonore Wolff (ULB), Chloé Deligne (ULB), Diane Bernard (USaint-Louis), Barbara Trufin (ULB), Emmanuelle Bribosia (ULB), Jean-Michel Decroly (ULB), Esteban Martinez (ULB), Olivier Gosselain (ULB), Mathieu Van Criekingen (ULB), Christine Guillain (USaint-Louis), Michel Hubert (USaint-Louis), Yves Cartuyvels (USaint-Louis), Dan Van Raemdonck (ULB), Gorian Delpâture (UMons), Abraham Franssen (USaint-Louis), Grégoire Wallenborn (ULB), Vincent Lorant (UCL), Bénédicte Zitouni (USaint-Louis), Damien Scalia (ULB), Brigitte D’Hainaut (ULB), Gilles Van Hamme (ULB), Isabelle Cloquet (ULB), Alain Collard (ULB), Jérôme Bindelle (ULiège), Julien Vastenaekels (ULB), Laura Merla (UCL), Frédéric Gosselin (ULB), Muriel Sacco (ULB), Dan Kaminski (UCL), Jean-Michel Chaumont (UCL), Paul Servais (UCL), Cécile Vanderpelen-Diagre (UCL), Nathalie Massager (ULB), Nathalie Frogneux (UCL), Marie-Laurence Hébert-Dolbec (ULB), Vincent De Coorebyter (ULB), Nicole Gallus (ULB), Erik Van Overstyns (UCL), Vincent Yzerb
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